mardi 19 mai 2009

Tarte à la rhubarbe pour une rencontre avec le chef étoilé Eric Westermann


Ou comment j'en suis arrivée à préparer une tarte à la rhubarbe après avoir discuter des attraits du merlan avec le chef étoilé Eric Westermann...

Je ne sais pas pour vous, mais le merlan m’évoque toujours la cantine et ses batailles de petits pois calibrés comme des kumquats… teintés en vert. Il va falloir sérieusement réviser mes classiques ! Regardez un peu plus bas, cette maison presque dissimulée dans son précieux écrin de verdure, à deux pas des institutions européennes, en plein coeur de Strasbourg. Ses beaux colombages n’attirent pas seulement le regard du promeneur intrigué par les cigognes du parc de l’Orangerie qui nichent sur la toiture. Ici, le gourmet d’Alsace marque également une pause gourmande. Ces murs abritent une des cuisines les plus réputées de la région, créée en 1970 par un père – Antoine –, reprise par son fils – Eric –. Antoine a remis les clés de l’établissement à Eric et cédé ses 3 étoiles en février 2007 pour de nouvelles aventures parisiennes. Le jeune chef a quant à lui décroché sa première étoile quelques mois seulement après son arrivée à la tête du Buerehiesel.

Ce mot alsacien imprononçable pour les non-autochtones signifie petite maison du paysan. Si la maison qui accueille ce restaurant n’a rien de monumental par sa taille, elle a cependant une histoire très originale puisque bâtie au XVIIe siècle, elle a été démontée de toutes pièces et transportée depuis Molsheim (village situé à 20 km de Strasbourg) à l’occasion de l’exposition industrielle de 1895 organisée dans le parc de l’Orangerie nouvellement créé pour cet événement. C’est une maison traditionnelle alsacienne avec colombages restaurée notamment par l’adjonction d’un superbe jardin d’hiver qui offre une vue exceptionnelle sur le parc. Cette véranda affiche une décoration relativement moderne même si la pièce a conservé ses colombages d’origine.

Je voulais en savoir un peu plus sur cette famille de gastronomes et ma curiosité a été largement satisfaite au cours d'un entretien très chaleureux et sympathique (encore mille mercis !). Pour Eric, choisir de travailler dans la restauration comme son père et son grand-père n’était ni un hasard, ni une fatalité. Dans la famille Westermann, on est (naît ?) gourmet et gourmand. On aime le partage et les tablées conviviales, recevoir et donner du plaisir. Ils en ont fait leur métier : un métier d’art et de passion qui a besoin des autres pour se réaliser. Personne ne cherche à se distinguer : c’est la passion du métier teintée de l’air du temps qui les démarque naturellement. Et la différence de prix pratiqués par le nouveau chef est un élément clé. La carte est réellement abordable et à l’image de ce que recherche Eric : il ne triche ni sur la qualité ni sur les quantités, mais vise un style plus simple, plus décontracté qui colle à un public désireux de davantage de convivialité.

Le Buerehiesel est à l’image de son nouveau chef : chaleureux et accueillant. Et c'est bien l'atmosphère qui régnait au cours de notre entrevue. Eric se présente comme un modeste artisan dont le savoir-faire lui permet de mettre en valeur de beaux et bons produits acquis auprès de fournisseurs de confiance. C’est ainsi que l’idée de présenter du merlan sur la carte s’est peu à peu imposée. En effet, ce poisson négligé (et pour cause !) gagne à être choisi, assaisonné et cuisiné avec un soin particulier (et pas mixé, broyé et roulé dans la chapelure à la truelle avant d'être brûlé dans une friteuse à vidanger !). Et là, quelle explosion de saveurs ! Le Crillon ne s’y est pas trompé et se lance à son tour dans l’aventure du merlan… On peut également découvrir ou redécouvrir le mulet de roche, les écrevisses, le homard.... De beaux produits mis en valeur par une bonne cuisson, un assaisonnement adéquat et une tablée chaleureuse, voilà en somme la recette du bonheur selon Eric Westermann (finalement, la bonne cuisine, c’est presque trop facile ;-) !).

La carte du Buerehiesel s’adapte aux produits de saison. Reflet de notre époque : manger des fraises en hiver n’est plus synonyme de luxe, mais de bêtise écologique et gustative. Toujours dans cette idée d’épure, de convivialité, de retour aux sources, ici, vous ne trouverez ni dorures, ni chichis et encore moins de cuisine moléculaire. Aucun artifice ne doit dissimuler un bon plat, maquiller un moment de plaisir (quoique... du merlan déguisé en drag queen... ok j'arrête ;-) !). On peut saucer allègrement son assiette avec le délicieux pain de la maison sans craindre d’attirer le regard désapprobateur de serveurs exaspérés par un manque de savoir-vivre. Ah et ce pain maison… La croûte des petits pains de seigle, quel régal !

Parlons enfin desserts puisque c’est mon dada… Eric ne saurait résister à une bonne crème glacée ou à des fruits de saison aux arômes éveillés par une préparation de circonstance. Croquer dans de la rhubarbe crue, la présenter en salade accompagnée de sucre imbibé de jus de fraises, c’est à la fois minimaliste et savoureux à l’extrême. J’étais littéralement conquise ! Au Buerehiesel, on croque à pleines dents dans un bonheur spécialement mitonné pour vous par un jeune chef entouré d’une brigade de passionnés qui ont la tête et le cœur dans les étoiles et les pieds sur terre. Avec des cigognes pour voisines… Que demander de plus ? Euh... une tarte à la rhubarbe ;-) ?

C'est à l'issue de cet entretien gourmand qu'une nouvelle envie quasi irrésistible de rhubarbe s'est fait sentir. De la rhubarbe, certes (ou encore ;-) !), pas sous n'importe quelle forme. Eric venait de me parler de rhubarbe crue, je l'avais goûtée mais c'est vers mes souvenirs que mes babines se sont tournées. La tarte à la rhubarbe est un dessert de l’enfance au goût persistant et à la saveur acide inoubliable que le sucre peinait à masquer… Avec sa couleur bien verte. Oui, j’ai découvert que la rhubarbe pouvait être rouge sur les blogs et dans les livres de Jamie Oliver ou de Nigella Lawson. Mais dans mon jardin, la rhubarbe y était verte, comme une salade ou une banale tige. Et pas moins bonne ! Les tiges étaient rouges jusqu’à mi hauteur, et encore… Mais quelles tiges, bien grosses et parfumées ! C’est aussi sur les blogs que j’ai découvert que la rhubarbe se cuisinait comme un légume ! Aurais-je vécu pendant tout ce temps à des années lumière de toute trace de civilisation et de progrès ?

La tarte à la rhubarbe était un de mes desserts préférés parce que cette tarte résonnait comme une énigme : comment la rendre plus douce, moins aqueuse, plus jolie aussi. Aucun dessert ne vous triture jamais les méninges ? Mon rubik’s cube culinaire est enfin terminé. Quelque chose va manquer maintenant, c’est sûr !

Pour 1 fond de tarte en pâte sucrée :

- 80 g. de farine,
- 10 g. de fécule de pomme de terre,
- 45 g. de sucre glace,
- 65 g. de beurre mou,
- 17 g. de poudre d’amande,
- 1 petite pincée de sel fin,
- 25 g. d'œuf.

Travailler le beurre et le sucre jusqu’à obtenir une pâte blanche. Ajouter l’œuf, la pincée de sel, la poudre d'amande, puis la farine et la fécule. Pourquoi dans cet ordre ? En incorporant d’abord l’œuf au sucre, celui-ci absorbe l’eau qui ne peut plus alors servir de liant ni aux protéines du gluten ni aux grains d’amidon, évitant ainsi que la pâte ne devienne filasse. La pâte est souple et malléable.

Quand tous les ingrédients sont bien mélangés, mettre en boule et déposer cette boule entre deux feuilles de papier sulfurisé. Etaler la pâte sur une hauteur de 2 mm environ (super, ça s’étale tout seul !) et la déposer à plat au frigo pendant au moins 1 heure. Pourquoi la réfrigérer ? La farine contient des grains d’amidon et des protéines (dont celle du fameux gluten) qui forment un réseau élastique quand la pâte est travaillée avec l’eau pendant un certain temps (pâte à pain). Ce réseau de gluten retient les bulles de gaz carbonique qui fait gonfler la pâte à pain, mais provoque la rétractation des autres pâtes à la cuisson. Le repos permet donc aux protéines étirées telles des chewing gum, de reprendre leur forme. De plus, les grains d’amidon ne gonflent et ne se soudent les uns aux autres qu’assez lentement à température ambiante. Le repos au frais favorisera la soudure qui donnera sa cohésion à la pâte. On peut aussi envisager un passage de trente minutes au congélateur.

Le délai écoulé, découper un cercle de pâte de la taille de votre cercle à pâtisserie. Poser le cercle sur un moule à tarte recouvert de papier sulfurisé. Reposer le cercle. Puis tailler de fines bandes de pâtes pour faire les bords de la tarte. Piquer la pâte à l’aide d’une fourchette (sans la transpercer). Poser un cercle de papier sulfurisé sur le fond de votre pâte, garnir le tout de pois chiches (c’est tellement plus joli et moins cher que les billes en céramique ; conservés dans un pot en confiture ou une jolie boîte en verre, c’est même décoratif). Réfrigérer 1 heure.

Enfourner à 200° C en chaleur traditionnelle pendant 10 à 15 minutes (surveiller la cuisson, dès que les bords commencent à dorer, c’est cuit).

Laisser refroidir avant de démouler.


Pour la garniture à la rhubarbe :

Globalement, il semblerait que nous mangions trop acide et que l’excès d’acidité serait fortement néfaste pour nos petits corps. Cela tombe bien, je n’aime pas manger trop acide : un peu, pas trop. La rhubarbe par exemple me fait grincer des dents si elle n’est pas adoucie par le traitement que je lui fais subir !

Eplucher une botte de rhubarbe en enlevant bien tous les filaments. Couper en morceaux, mettre dans un saladier, couvrir de sucre (100 à 150 g. à vue de nez), remuer et faire macérer au frigo pendant une nuit (12 heures). La rhubarbe va peu à peu rendre une bonne partie de son eau (vous verrez, c'est surprenant toutes ces réserves d'eau).

Verser la rhubarbe (sans l’eau) dans une casserole et faire cuire à feu doux pendant 20 à 30 minutes. Laisser refroidir.

Verser la compote de rhubarbe sur le fond de pâte. Décorer de fraises fraîches, lavées et équeutées. Et voilà, c'est tout simple, mais quel délice !